À la fin du XXe siècle, deux auteurs, Francis Fukuyama et Samuel Huntington (tous deux américains), publiaient tour à tour leurs visions respectives du monde à venir… Fukuyama [1] prenait acte de la victoire définitive de l’ « Occident » (des États-Unis) dans un monde désormais unipolaire où s’imposeraient peu à peu l’économie de marché et la « démocratie libérale ». Huntington [2] prédisait au contraire un « choc des civilisations ». Étrangement, notre monde actuel ressemble à une hybridation de ces deux scénarios a priori contradictoires ;
Étrangement, nous habitons deux mondes en même temps, celui de la fin de l’histoire (le « monde de Fukuyama ») et celui des conflits géopolitiques (le « monde de Huntington »).
La guerre en Ukraine, entre autres, nous apprend à faire coexister deux mondes ; les adversaires sont tellement interdépendants que les sanctions prises par les uns contre les autres finissent très vite par les sanctionner eux-mêmes – les Européens en savent quelque chose…
Deux visions contradictoires semblent pourtant se réaliser simultanément. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, on s’affronte durement, mais on continue d’échanger, en dépit des « sanctions », tant les adversaires sont interdépendants [3], capitalisme global et division planétaire de la production obligent. De même, le cyberespace, dont les trois couches (matérielle, logicielle et informationnelle) sont d’origine américaine, se trouve désormais le théâtre d’une « guerre de l’information » géopolitique. Au demeurant, il n’est pas exclus que ces deux mondes n’en fassent qu’un, s’il est vrai que l’Occident a besoin d’ennemis pour se déployer.
Fukuyama et Huntington ont raison tous les deux… et se trompent en même temps : la démocratie libérale (Fukuyama) régresse, y compris en Occident ; le « choc » (Huntington) oppose d’anciennes civilisations, toutes occidentalisées, à un Occident qui a entrepris de se déciviliser.